Création
Création par l’Orchestre Philharmonique des pays de Loire dir. Marc Soustrot
Laval 10 janvier 1987
Angers 11 janvier 1987
Nantes 13 janvier 1987
C’est une sombre histoire… le directeur de l’Opéra, Bernard Lefort, qui avait aimé Casta Diva, commande en juillet 1981 à Alain Louvier un ballet sur un argument du baron Philippe de Rothschild, poète symboliste quand son vignoble bordelais lui en laisse le temps. L’argument est le mythe de Tantale, avec personnages de dieux et de demi-dieux… il s’agit, pour le compositeur, qui a longtemps hésité avant d’accepter, de renouer avec le grand ballet symphonique français, illustré par Ravel et Roussel notamment. Mais il y voit aussi l’occasion d’utiliser ses recherches sur la modalité micro-intervallique, amorcées à l’IRCAM.
Écrite entre 1980 et 1982, cette très importante partition allie pour la première fois un grand orchestre symphonique et une bande d’ordinateur, réalisée à l’IRCAM avec l’assistance du compositeur Rainer Boesch.
Inspirée, au départ, par le mythe de Tantale, elle utilise des séries d’intervalles qui se resserrent de plus en plus vers l’aigu et tendent vers une note sans y parvenir (telle l’hyperbole et son asymptote).
Le violoncelle solo personnifie le héros, d’autres solistes évoquent des chorégraphies imaginaires, ce qui donne aux 4 tableaux une forme très proche du poème symphonique. L’ordinateur symbolise, dans sa terrifiante perfection mathématique, l’intervention du “surhumain” ou des “Dieux”. Il lutte avec l’orchestre tout en s’intégrant à son “harmonie”. Il est tout-puissant mais “ailleurs”.
TABLEAU 1 :
Après un crescendo de percussion, grande masse d’orchestre rythmée par une percussion puissante mais bancale, évoquant vaguement une ouverture à la Française.
Des musiques déformées (menuet, gavotte) émergent de la masse peu à peu. Orchestration légère et cocasse, presque grotesque. Ces “danses” se mélangent.
Solo de violoncelle (Tantale). Faux départs, hésitations. Phrases répétées circulairement. Phrase ascendante qui tend vers un point sans jamais l’atteindre. Le violoncelle se cogne à cette limite…
Retour de début, de plus en plus aigu, comme accéléré. Dernière phrase ascendante – tantalienne – des violoncelles. Dernier rythme bancal. Silence.
TABLEAU 2
- a) tout l’orchestre:
3 grands accords…présentation de 3 “personnages”
– flûtes virevoltantes, fantasques (Pan)
– percussions légères interrompues par des gammes-fusées colériques (Ganymède)
– piano léger puis brutal, accompagné de ricanements de cuivres (Hermès)
Le violoncelle trouve ensuite dans l’orchestre un miroir très calme: le saxophone soprano (la déesse Héra) tend vers lui: danse de séduction, rencontre avortée.
- b) orchestre de chambre:
3 grands accords… 3 “danses” sur tapis de harpes…
– avec le hautbois, volage, imprévisible (Psyché);
– avec le quatuor à cordes soliste, enjôleur (Aphrodite);
– avec la clarinette, très “femme” (l’épouse)
Le violoncelle commente chaque danse.
Le grand orchestre revient et fait entendre une “chute tantalienne” terrible vers le grave (prémonition de la chute de Pélops). Violoncelle et saxo/miroir se rejoignent dans l’extrême-aigu sur un “fouillis de dieux” que réalisent les solistes de l’orchestre de chambre. Séries tantalienne convergentes: Tantale rejoint Héra.
TABLEAU 3:
3 tam-tams résonnent dans la salle. En émerge une musique mystérieuse faite de pizzicati invariables et de petits bouts de thèmes ou de fanfares avortées. Ambiance de banquet des Dieux.
Le violoncelle culmine alors et déclenche un son cataclysmique (bande n°1) amené par un crescendo terrible des tam-tams de la salle… silence très long. C’est le Sacrilège, centre de l’oeuvre.
Ostinato de timbales, grêle de sons, accord “solaire” aveuglant doublé de cloches (repris de la Cantate de Rome 1967) qui évoque Zeus.
Danse désespérée, heurtée, sorte de valse brutale et mécanique. Une bande d’ordinateur (n°2) décrit la même “chute tantalienne” que l’orchestre au tableau 2, mais plus parfaitement qu’aucun orchestre ne pourrait la jouer! Le violon-solo s’enfuit dans l’aigu, les sons électroniques investissent un extrême-grave inouï. Les tam-tams de la salle submergent tout. Silence.
TABLEAU 4:
Musique fluide de blocs qui se croisent.
Musique funèbre de rythmes bancals. Balayages d’accords qui s’animent, tournoient puis s’essoufflent. Aucune séquence mélodique n’a le temps d’aboutir.
Des cloches électroniques parfois cabossées, de plus en plus resserrées, ponctuent ce tournoiement jusqu’à l’étourdissement (bande n°3). Silence… ici commence une progression soutenue par un rythme “cardiaque” à la grosse caisse (issue de Chant des Limbes de 1969). C’est le supplice de Tantale, qui ne peut atteindre aucune femme. Au-dessus, des musiques plus séduisantes essaient, sans y parvenir, de détourner l’inexorable. L’orchestre se superpose aux bandes 4 et 5 en un contrepoint vertigineux.
Le son insupportable de la bande 1 revient : le héros s’effondre, il était déjà mort debout, ne tenant que par l’énergie du son…
Une musique irréelle (bande seule, soutenue par des accords très doux des cordes) l’emporte dans le rêve (bande 6, glas de cloches aux fréquences inversées)
La série “tantalienne” n’est autre qu’une simple progression géométrique dont la raison et les premiers termes sont choisis, déterminant ainsi la note-asymptote, inaccessible… l’ordinateur pouvait le traduire parfaitement, l’orchestre plus difficilement, malgré l’emploi de 1/4 de tons.
Achevée en juillet 1982, la partition de ce ballet fait l’objet d’un enregistrement de travail par l’orchestre de l’Opéra, dirigé par Michel Cals.
Mais les directeurs changent, et Paul Puaux, puis Massimo Bogianckino font savoir au compositeur que le ballet ne sera pas programmé à l’Opéra. S’en suit un procès engagé par les éditions Leduc, qui aboutira à quelques minimes dédommagements… en 1987!
Un an plus tard, l’orchestre des Pays de Loire et Marc Soustrot assureront la création de l’oeuvre en concert.
Louvier se félicita d’avoir suivi le conseil éclairé de Béjart : “si on vous demande un ballet, écrivez une oeuvre symphonique”… il fallut seulement trouver un titre : vu le nombre de solistes et de formations de chambre prévues dans le grand orchestre, concerto pour orchestres s’imposait.