
Il faut replacer cette commande du Conservatoire dans son époque, 3 années de profondes réformes ayant suivi le vent de liberté esthétique et de renouveau pédagogique de 1968, dans lequel Alain Louvier s’était profondément investi.
Préface de l’auteur ( Rome, 1970)
Duel pour 2 à 5 percussions peut être considéré comme un essai de “théâtre musical”.
L’idée première est que la musique doit provoquer le geste, si important chez un percussionniste. C’est pourquoi cette oeuvre comprend des indications gestuelles et scéniques très précises.
Elle se compose de quatre parties:
Présages : Dialogue entre la scène et les coulisses, d’où nait le pressentiment du drame.
Effraction: irruption d’interprètes (un ou plusieurs), armés d’instruments et parcourant très rapidement un itinéraire imposé.
Meurtre: Deux percussionnistes se font face. L’un des antagonistes est mis hors de combat.
Labyrinthe: le remords. Un ou deux improvisateurs errent; les Préludes pour cordes leur servent d’environnement sonore et suscitent leurs réactions.
Plus qu’à la technique, Duel fait appel aux qualités de présence et d’imagination des interprètes.
Connaissant le Conservatoire de l'intérieur, Louvier était sûr de son effet; concrètement, il brisait là plusieurs dogmes du "morceau de concours" (notion qu'il combattra toujours), d'une manière parfois insidieuse ou symbolique:
- la "mise en scène" transforme le juge-jury en spectateur: renversement des rôles...
- l'assemblage sempiternel piano-percussion ( déséquilibré par nature ) est évité: le piano est joué dans les cordes ( travail de percussionniste?)
- en remplacement, il est proposé le duo-duel entre 2 élèves ou professeur-élève.
- l'improvisation de la fin est une satire de la "forme ouverte" : on a tué le professeur-accompagnateur dans un "meurtre" faisant appel à la notation proportionnelle ( avec "vitesse de déroulement oculaire" pour remplacer le tempo fixe ) : mais que faire après?
- c'est là une autre moquerie: celle du sacro-saint "par coeur" des concours... ici il va de soi, car on court, on bouge, on fait même des gestes muets prévus ( "s'arrêter 2" à 3" et se gratter la tête d'un air perplexe")...
- Louvier critique aussi, en les rendant impossibles, les points d'orgue cadentiels où les interprètes "soufflent" en rompant la continuité musicale ( exemple: le corniste qui vide son instrument ). Ici, tout geste non prévu par l'auteur est par définition mauvais, à moins qu'il ne prolonge l'esprit de la partition...
- Notion aujourd'hui généralisée: le schéma d'implantation sert ici de parcours du combattant: l'effraction est très spectaculaire où le(s) soliste(s) sort(ent) des coulisses en courant à toute vitesse ( avec des baskets!), en tapant sur tout ce qu'on rencontre en chemin, et tient un peu du numéro de cirque par une minutieuse préparation ( tablettes prévues sur le parcours pour changer de baguettes ou d'accessoires )
- Enfin, très symbolique, la terrible sonnette du président du jury est ici annexée aux percussions.... sacrilège suprême ( il y eut des critiques acerbes ). Il est vrai que lors du concours, l'auteur était membre du jury, et avait demandé l'autorisation de jouer lui-même les Préludes pour Cordes 3 et 4 pendant le Labyrinthe.
C’est donc lui ( membre du jury ) qui agitait la sonnette, marquant la fin du jeu.
– Plusieurs manières de sortir étaient prévues ( qui toutes empêchaient le président de remercier le candidat… ) mais d’autres furent inventés par les étudiants: ainsi celui qui franchit tristement la porte, le révolver du Meurtre à la main, puis se “suicida” en coulisse.
– Enfin, dernier effet induit : le public réagit, rit ou applaudit: c’était aussi une première dans les traditions un peu guindées des concours.
On comprendra que dans l'Institution, Louvier soit devenu pour certains conservateurs l'homme à abattre, après un tel coup d'éclat....
Duel gagne beaucoup à être joué ( à 2 ou 3 ) dans un théâtre avec une mise en scène et des lumières ( le stroboscope utilisé à Nantes dans Effraction était particulièrement réussi ) .